En septembre 2014 j'ai achevé le chemin qui part du Puy en Velay pour rejoindre Compostelle en empruntant le Camino Frances. J'ai gardé d'excellents souvenirs de ce pèlerinage et pour ne rien en perdre, j'ai écrit un livre dans lequel j'ai décrit ce qui a été mon quotidien, les rencontres, les anecdotes, les légendes du chemin et toutes les émotions qu'une telle "aventure" ne manque pas de susciter.
Vous pouvez vous procurer ce livre en m'adressant un mail à l'adresse suivante:
alain.humbert0437@gmail.com
Quelques extraits du livre.
Jeudi
20 septembre 2012 : Maslacq – Navarrenx : 25
km
Je me réveille avec une forte migraine. Je ne sais pas si c’est le Bordeaux
qui accompagnait le dîner ou les odeurs du gaz de Lacq, dont le gisement se trouve à quelques kilomètres
seulement de Maslacq, qui en sont à l’origine.
Un petit Doliprane et dans quelques minutes, ce sera oublié.
Il a plu un peu cette nuit mais au lever du jour tout est rentré dans l’ordre. Les premiers rayons du soleil ont
progressivement chassé les nuages et c’est encore sous un ciel d’azur que nous
débutons cette étape. Quelques groupes d’hirondelles sur les fils électriques
nous font penser que, même si la température est encore estivale, l’automne est
en train de s’installer.
Midi approche et il nous faut
penser à chercher un coin ombragé pour déjeuner ; pas si simple, car il y
a très peu d’arbres dans le secteur. Un habitant nous conseille de poursuivre encore un peu,
nous expliquant que, plus loin, nous allons traverser un bois et qu’à la sortie nous trouverons une
petite clairière sympathique qui devrait nous apporter le calme et la fraicheur
que nous recherchons. Je ne sais pas si ce monsieur a renseigné d’autres
pèlerins, mais lorsque nous découvrons l’endroit, une bonne vingtaine de
personnes y sont déjà installées. Nous
connaissons la plupart d'entre eux pour les avoir rencontrés sur le chemin ou
dans un gîte. II y a là le groupe que nous avions connu à Uzan, un couple
d’Alsaciens, Bernard et Yolande, Marie-Françoise et encore d’autres. L’ambiance est détendue,
les hommes ont tombé le tee-shirt pour
le mettre à sécher, on plaisante, on chante encore Ultreïa.
Après ce déjeuner bien sympathique au cours
duquel nous avons échangé victuailles et boissons, nous reprenons notre route en direction de Navarrenx que
nous atteignons en milieu d’après-midi. Avec d’autres pèlerins, nous faisons
une pause à la Taverne Saint-Jacques, le temps de déguster une bière, avant de
gagner le camping où nous avons réservé un chalet. Bernard et Yolande, les
Alsaciens, ont fait de même et c’est en leur compagnie que nous rejoignons nos
hébergements. Après la douche, nous nous retrouvons à la piscine où nous
faisons davantage connaissance. Ils ont beaucoup d’humour et leur accent en
ajoute encore.
Pour le dîner, le patron du
camping nous a conseillé un petit
restaurant sympathique et pas commun dans lequel, pour 10 euros, on déguste 5
plats, café et vin compris. Incroyable ! Seule difficulté, il est éloigné
d’un kilomètre et lorsque nous nous mettons en route la pluie commence à tomber.
À mi-distance, alors que la pluie redouble d’intensité, nous apercevons
derrière une fenêtre la silhouette d’un homme courbé sur ce qui doit être son
évier et occupé à nettoyer la vaisselle du dîner. Bernard frappe à la vitre pour
attirer son attention. L’homme ouvre sa fenêtre, et l’effet de surprise passé,
comprenant qu’il a devant lui des pèlerins et non des bandits de grands chemins,
demande en quoi il peut nous être utile. Bernard lui explique alors que l’on va
jusqu’au petit restaurant bien connu des Navarrais et que compte tenu du temps
qu’il fait on aimerait lui emprunter un parapluie . Il lui prête le pépin sans
difficulté et, dans la discussion, lui confirme les recommandations que nous
avait faites le patron du camping quant à la qualité et l’originalité de la
table. Effectivement, lorsque nous y parvenons, nous découvrons un restaurant peu
ordinaire. Il est tenu par Bernadette, une dame vêtue à la manière des vamps et
à laquelle je serais bien incapable de donner un âge. Sans parler, sans rien
commander, elle nous apporte une
succession de plats : la soupe, les boulettes de viande, le rôti
de porc, les frites, le fromage, la glace, le café et bien sûr le vin à
volonté. Durant le repas nous poursuivons les échanges que nous avions eus à la
piscine, chacun relatant les anecdotes vécues sur les dernières journées. Bernard
nous raconte leur nuit dans leur dernier gîte, une roulotte. Il déclenche un fou
rire général lorsqu’il dit, avec son accent que l’on ne rencontre qu’au-delà de
la ligne bleue des Vosges, « imaginez-vous que j’ai dû me lever cette
nuit pour caler les roues de la roulotte
tellement elle tanguait» ! Le
pèlerin aurait-il joué au missionnaire ?
Retour
au chalet non sans oublier de rendre le parapluie au monsieur qui nous l’a si
gentiment prêté. Quand il demande à Bernard si le repas était correct,
ce dernier lui répond que c’était absolument parfait et qu’il ne manquait que
l’Armagnac. C’est une belle perche
tendue qui est vite saisie. Quelques
minutes plus tard nous voilà installés autour de la table de cuisine avec
devant nous toutes sortes de bouteilles d’alcool. Notre hôte s’appelle Jacques, est originaire d’Alsace ; son
épouse, Maïté, est native d’Autun. De bonnes coïncidences pour engager la
conversation et les éclats de rire reprennent lorsque Bernard raconte à nouveau l’anecdote
de la roulotte. Une soirée vraiment inoubliable.
Jeudi 19 septembre 2013 : Hornillos del
Camino - Castrojeriz : 19,7
km
Départ au petit
matin, le ciel est encore rougeoyant, super, j’adore prendre des photos de
lever et coucher de soleil.
Nous rencontrons
beaucoup de cyclistes sur le chemin, en général des vététistes. C’est une
différence avec la France, qui trouve peut-être son explication dans le fait
qu’ici, en Espagne, le chemin est très roulant contrairement à chez nous où il
s’agit plutôt de sentiers étroits, beaucoup mieux adaptés aux marcheurs qu’aux cyclistes. Ils
roulent le plus souvent en groupe de deux ou trois, et, pris dans nos pensées,
nous sommes souvent surpris lorsqu’ils nous dépassent. Les rapports avec eux
sont toujours cordiaux, nous nous échangeons un « buen Camino » et ils disparaissent.
Christelle et Jean-Patrick nous rattrapent, je
prends une magnifique photo d’eux en contre-jour, puis nous cheminons ensemble.
À l’entrée d’Hontanas nous faisons la pause devant l’ermita de Santa Brigita,
puis visitons l’église du village. Nous avons de la chance, car nous y trouvons
le sacristain, un homme d’un certain âge, qui aime bien s’entretenir avec les pèlerins.
Il le fait en espagnol, mais ce n’est pas un problème pour nous, Christelle fait la traduction en
live, merci Christelle. Il nous parle d’une grave maladie qui a sévi dans la
région au 11e siècle que l’on appelait alors « Mal des
ardents » et qui était causée par l’ergot du seigle. La maladie pouvait
revêtir plusieurs formes : convulsions, hallucinations et gangrène et
frappait surtout les pèlerins, car les habitants de la région, habitués depuis
des générations à consommer le pain de Hontanas, étaient en quelque sorte immunisés. Les hospitaliers Antonins
s’étaient fait une spécialité de soigner cette maladie. Légende ou fait réel ?
Pour ma part, je penche pour la deuxième
hypothèse tant le récit du vieillard est convaincant. Il nous dit également
avoir fait quatre fois le Camino, et, poursuivant les confidences, nous avoue que sur ce chemin,
il y a quelque chose d’indéfinissable. Je ne suis qu’à mon premier Camino mais
je pense avoir déjà ressenti, au moins pour partie, cet
« indéfinissable » dont il nous parle. Nous le quittons sur un
« muchas gracias », et
reprenons notre route.
Ni le temps ni le décor n’ont changé depuis
hier, il fait encore très beau, sans que la chaleur soit excessive, et nous sommes toujours à
pérégriner dans ces paysages merveilleux que nous offre la Meseta. À cette
saison de l’année les céréales ont été récoltées depuis plusieurs semaines, les
champs ont été labourés et préparés pour les prochaines semailles, et c’est
donc un dégradé de brun, de beige, de marron que nous avons devant les yeux.
Parfois un champ de tournesols en fleur rompt cette monotonie et apporte au
tableau sa touche de verdure et de fraîcheur. Des pèlerins se sont amusés à
donner à certaines fleurs des représentations de visages affichant de larges
sourires : un clin d’œil de la nature à ceux qui arpentent le chemin.
L’art n’a vraiment pas de limite, tous les supports sont bons pour exprimer et
traduire ses idées du moment !
Peu avant le terme
de notre étape, nous passons sous la voûte du couvent de San Anton où au moyen
âge les moines distribuaient les repas
aux pèlerins. Aujourd’hui il ne faut pas compter sur ce lieu pour se restaurer,
il n’y a que des ruines et plus de moines. À l’arrière subsiste un gîte pouvant
accueillir une vingtaine de pèlerins et tenu par les Quakers américains.
À 13 heures
Castrojeriz apparaît, reconnaissable de très loin par la butte qui surplombe la
ville avec le château à son sommet, une configuration qui ressemble un peu au
site de Villamayor de Monjardin. Encore un de ces lieux d’Espagne qui a dû connaître des temps forts
au moment de la Reconquista. Il nous faut marcher encore plusieurs kilomètres
en bordure de route pour rejoindre le bourg qui, à mesure que l’on s’en
rapproche, nous apparaît comme coupé en deux : sur la droite un
hameau avec l’église Nuestra Senora del Manzano et plus à gauche le reste de la
ville, plus imposant. C’est dans cette partie que nous avons réservé notre
hébergement.
Après un petit
encas au restaurant de la place, nous rejoignons notre gîte. C’est une vieille
demeure, entièrement rénovée, dans laquelle il règne une odeur d’insecticide,
insupportable tellement elle est forte. Certainement que notre hôte, pour notre
bien, a voulu se débarrasser des mouches, car il faut dire que depuis quelques
étapes, elles sont omniprésentes, dans les villes, les restaurants, et même en
pleine campagne. Dès que nous entrons
dans la chambre, nous aérons, car comme on dit, entre deux maux, il faut
choisir le moindre. Les pièces sont propres, spacieuses, et décorées avec goût.
Le patron est un homme qui affiche la soixantaine, pas moins, il nous paraît
plutôt Anglais qu’Espagnol. La scène que nous vivons maintenant est assez
insolite : l’homme ne parle pas, ouvre son ordinateur portable, un
Apple dernier cri, et sans nous regarder, tapote sur le clavier pendant de
longues minutes. Que fait-il, sa comptabilité, gère ses réservations... ?
Rien de tout cela. Nous comprenons
lorsqu’il tourne l’écran en notre direction. Il était en train de rédiger, dans
sa langue, un mot d’accueil à notre intention
et l’a fait traduire par l’ordinateur. Il y explique le fonctionnement
de la maison, les horaires, les clés, le petit déjeuner, et précise également
qu’il s’appelle Walter et sa femme (que nous n’aurons pas le plaisir de voir),
Sharon.
Nous profitons de
l’après-midi pour visiter le village construit sur les flancs de la colline.
Beaucoup de maisons apparaissent délabrées ou même en ruine, un peu à l’image
du château qui domine la colline. Christelle et Jean-Patrick nous ont quittés,
ils ont souhaité aller un peu plus loin aujourd’hui pour raccourcir d’autant
l’étape de demain. Dîner avec menu pèlerin et ce soir je troque l’ensalada
contre une soupe à l’ail, une spécialité de la région. Un vrai délice !
Mardi
16 septembre 2014 : O Cebreiro – Triacastela : 21 km
Après une semaine de marche, nous nous
sentons toujours en forme. Les difficultés du terrain n’ont pas trop éprouvé
les corps. Confiant, j’ai même arrêté de me pommader quotidiennement les pieds. Pourvu que
cela continue et surtout que Marie-Jeanne ne retrouve pas les abominables douleurs
qui lui traversaient les genoux !
Depuis notre passage en Galice, des bornes
nous indiquent tous les 500 mètres la distance restant à parcourir jusqu'à
Santiago. Celle que nous dépassons maintenant affiche 149 kilomètres. Si nous traduisons en journées de marche, cela
veut dire qu’il nous reste grosso modo une semaine avant de pénétrer sur la
place de l’Obradoiro. Nous n’avons jamais été si près ! À l’alto de San
Roque une magnifique statue d’un pèlerin luttant contre le vent semble donner
le sens de la marche. Alors, maintenant, connaissant la distance et le
cap, comment se tromper ?
Nous retrouvons une partie du groupe des Canadiens
rencontré hier, et, tout en marchant, nous poursuivons la discussion entamée en
gravissant le O Cebreiro. Ce sont trois dames, elles sont parties de Burgos
mais envisagent déjà pour l’année prochaine de reprendre le Camino à Saint-Jean-Pied-de-Port,
tant elles sont enchantées par l’aventure qu’elles vivent. Elles nous disent être Acadiennes davantage
que Canadiennes, et habiter le
Nouveau-Brunswick à 5 kilomètres seulement des États-Unis. Brigitte, la
plus prolixe du groupe, était enseignante en psychologie dans des classes
d’enfants inadaptés. Elle n’est âgée que de 53 ans mais bénéficiant des lois
sociales propres à l’Acadie, elle est déjà retraitée, et, comme tout enseignant
retraité, dispensée de l’impôt sur le revenu : ça fait rêver !
Nous les quittons après quelques kilomètres d’échanges mais les retrouverons
souvent sur notre parcours. Elles nous remercient d’avoir piqué cette petite
jasette (expression canadienne), et
pour sceller l’amitié qui vient de naître entre nous, tiennent à nous donner
une très longue poignée de main. Buen Camino !
Passé le col de l’alto del Poyo, point
culminant de l’étape, nous entamons une longue descente vers Triacastela
découvrant çà et là ce qui fait le quotidien des villageois. Ici une vieille dame propose des crêpes aux pèlerins
moyennant quelques euros, là un paysan consolide la clôture d’une pâture, plus
loin, des ouvriers sont occupés à restaurer un horréo, ces greniers à grains
particuliers à la région. Nous en verrons beaucoup en Galice où chaque ferme en
possède un pour mettre ses récoltes à l’abri des rongeurs et de l’humidité.
En milieu d’après-midi, nous atteignons
Triacastela. Une ville tout en longueur dans laquelle une tradition ancienne
voulait que les pèlerins prennent une pierre à la carrière de la ville et la transportent
jusqu’à Castaneda afin qu’elle y soit transformée en chaux, contribuant ainsi à la construction de la cathédrale de St
Jacques de Compostelle. Depuis plusieurs siècles la cathédrale est achevée et
la tradition s’est perdue. Sans jeu de mots, nous avons eu chaud !
À 19 heures nous assistons à la messe dans
la petite église de la ville. Hormis les pèlerins il y a assez peu de fidèles pour suivre l’office, une
dizaine tout au plus. Le prêtre invite l’un d’entre nous à tenir le rôle du
sacristain puis demande à des personnes de chaque nationalité de faire les
lectures dans leur langue respective. Les Canadiens sont présents et c’est l’un
d’eux qui est désigné pour lire dans
notre langue. Le prêtre s’exprime en espagnol et ses paroles sont traduites en live par une
jeune fille, certainement une étudiante. Il apparaît vite qu’il y a une grande
complicité entre eux. Le discours semble bien rodé, il est certainement servi à l’identique
chaque soir aux nouveaux pèlerins. Les propos sont empreints de beaucoup
d’humour, ce qui contribue à détendre l’atmosphère et à enlever un peu de
solennité à la cérémonie. Le prêtre délivre ses messages, phrase après phrase, laissant
à l’interprète le temps de la traduction
et s’assurant après chacune des phrases qu’elle a produit sur l’assemblée
les effets escomptés, et tout particulièrement des éclats de rire.
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