Vendredi 3
juin : Abadin – Vilalba : 21 km
Depuis mon arrivée
hier à Abadin, pas l’ombre d’un seul pèlerin ; je pense que tous ceux qui
ont fait étape hier dans la région ont préféré le gîte de Gontan situé 2
kilomètres en amont. Ce matin, je pars donc avec un peu d’avance sur eux. Bien
que marchant d’un bon pas, je suis dépassé par l’un d’eux qui semble avoir un
meilleur braquet que moi : c’est Juan, le gars de Barcelone. Nous faisons
un bout de chemin ensemble puis je le laisse partir, car Vilalba est encore loin
et je ne tiens pas à griller toutes mes cartouches maintenant : buen
camino Juan.
Cigogne et cigogneau |
Je parviens à Vilalba en début d’après-midi ;
c’est un joli petit bourg. J’y ai réservé une chambre à l’hôtel Venezuela, en
plein centre-ville ; en face, un hôtel Parador occupe un donjon, dernier
élément subsistant d’un ancien château féodal du 11ᵉ siècle. Mais ce soir, je
ne joue pas dans cette catégorie-là : il y a deux étoiles de moins sur la
porte de ma pension et puis pénétrer dans ce palace avec mes godillots serait
peut-être mal vu de la réceptionniste d’autant qu’aujourd’hui, si le temps
a été une fois de plus exceptionnel, les sentiers en sous-bois étaient encore très
humides.
Après une rapide visite de la ville qui m’a
fait découvrir l’église Santa Maria, le quartier historique et enfin la place
de la Constitution, je prends le temps de déguster une bière à une terrasse de
la place Suso Gallego. L’endroit est agréable, un érable, probablement
centenaire, met toutes les tables à l’abri du soleil. Arrive un pèlerin qui en
termine avec l’étape du jour ; au bonjour qu’il me lance je comprends qu’il
est francophone et je l’invite à ma table pour prendre une cerveza avec moi.
Il s’appelle Lucas, est parti de Paris il y a deux mois et n’a pas d’idée précise
de ce qu’il va faire après Santiago, peut-être poursuivre vers l’Andalousie,
Séville, en fait continuer un peu à l’aventure sans objectif tant de calendrier
que de budget ; entre parenthèse, un mode de fonctionnement qui est aux
antipodes du mien, moi qui ai réservé tous mes hébergements, mes vols… Mais ce
qu’il me raconte ensuite est encore plus étonnant. Poursuivant la conversation
il m’explique qu’il est au chômage, mais n’a jamais demandé l’allocation à
laquelle il peut prétendre, qu’il est parti avec 200 euros en poche, qui lui en
reste 140 aujourd’hui, que pour vivre avec un si petit budget il dort sous sa
tente et se nourrit de végétaux cueillis sur les bas-côtés, de fruits
s’il en trouve, mais également de certaines plantes particulières qu’il avait
appris à connaître dans des livres spécialisés ; il semble avoir un faible
pour les jeunes pousses d’orties. Quelquefois, lorsqu’il ose, il pousse
la porte d’une boulangerie pour demander du pain de la veille, celui que le boulanger
a déjà mis en sac pour donner à l’éleveur de porcs du village : bon
appétit pérégrino !
Eglise Santa Maria |
Eglise Santa Maria |
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